Jacques-a-dit a dit:
« Écran plus grand! »
À-MI.
comprendre
cum, « avec »
prendre.
Prendre avec soi,
en soi.
Former un tout,
un ensemble,
comprendre
J’ai commencé à m’intéresser à ce verbe il y a quelques années :
dès le lycée pour les cours de philosophie puis en école d’art pour parler de mon travail.
C’est ma mamie qui m’avait expliqué :
apprendre ouvre les bras,
comprendre les referme.
Alors, comprendre
comprendre plutôt qu’apprendre
Comprendre a quelque chose d’intérieur, de charnel :
il digère en silence.
Apprendre c’est aller vers,
Comprendre c’est englober,
embrasser.
La question serait donc, peut-on comprendre les choses ?
Les comprendre en soi
physiquement-mentalement
mentalement-physiquement
Les saisir assez fort
et fusionner ensemble
qu’on se métamorphose
qu’on se confonde assez
pour ne devenir qu’une seule et même forme nouvelle.
Comprendre – Devenir
et pas juste attraper un bout de, l’avalant qu’à moitié.
Peut-on comprendre le monde, ce monde autour de soi
comprendre celui des autres et ce à force de corps
à force de sentir, à force de projeter
en jouant, rejouant ?
Cela fait longtemps que j’essaye.
Et mon premier pas vers, pour comprendre les choses, c’est d’abord de mimer.
Je les rencontre comme ça, les choses, en les mimant.
C’est là que je trouve comment devenir l’autre
l’autre que j’espère digérer et englober en moi.
Mimer c’est créer et découvrir des ressemblances formelles, corporelles, entre les choses et moi.
C’est dénicher des points d’appui dans la chair-à-modeler
une chair-à-modeler que j’étire pour confondre les matières
celles des autres choses et moi.
***
Mimer a mauvaise presse.
Lorsque j’ai commencé à parler de mon goût pour mimer, on m’a dit que mon mimer ce n’était pas vraiment mimer.
Sous-entendu que mimer n’était jamais une bonne solution en art.
(Voire n’en était jamais une, de solution, en art.)
(Voire n’était jamais de l’art.)
Mimer, pour beaucoup, se limite seulement à faire copie de.
On le méprise pour cela.
On pense : mimer est en surface.
On ne croit pas qu’un jour il formera un tout avec ce qu’il cherche à saisir.
Il est sur ce carrefour entre le monde et moi sans chance de profondeur.
C’est là ce qui dérange.
On le méprise ou bien se méprend-on ?
Peut-on vraiment prétendre comprendre quoi-que-ce-soit ?
On aura beau faire, tout ce qui est autour restera toujours autour
ce qui est dedans y échappera
pas de fusion possible, aucune métamorphose
Toujours barrière-surface, seul échange contre-peaux.
Mimer observe donc, retranscrit comme il peut :
il absorbe de loin, s’implique sans s’impliquer
reflète, représente, figure sans incarner
sans rien incorporer.
Il n’est pas en in
Il n’est pas en-dedans.
Mimer n’est qu’un état qui ne dure qu’un temps
celui du jeu et non du je profond.
À côté de comprendre, mimer fait couard, fait faible et transparent
se contentant de faire figure de
et d’être confondu plutôt que de confondre.
Être confondu
confondre
con
c’est con.
À une déclinaison près, encore trop extérieur, encore trop en surface, pas assez impliqué.
***
Pour moi mimer est une forme de TR
de traduction, de transcription, de transcode, de transfert, de transformationa
a. Entre ma première et ma seconde année en école d'art j'ai trouvé un livre en braille dans un vide-greniers. J'ai commencé un projet qui devait me permettre d'apprendre à déchiffrer et mieux comprendre ce système d'écriture.
Je me souviens du chapitre III dans lequel il était dit, en gros, que la bonne façon de nommer un mort dans la religion chrétienne (selon le ou les auteurs) était « trépassé ».
« Trépassé » puisque ce mot permet de penser que la personne, en mourant, passe
« au-delà », dans un ailleurs. C'est peut-être même une manière de le lui souhaiter.
J'avais bien aimé ce texte, sa recherche du mot juste.
INSTITUTION DES JEUNES AVEUGLES DE NANCY, Livre de Lecture-Anecdotes chrétiennes tirées de la semaine religieuse du diocèse de Nancy. Nancy, 1890. Chapitre III :
« Les mots - mort, décédé, défunt, trépassé » p.18-24.
1.TRADUIRE, verbe trans./« Prononc. et Orth.».
En ligne disponible sur : https://www.cnrtl.fr/definition/traduire.
Consulté le 20 novembre 2021.
Tra
Trans
TR
TR
«Tra» pour «Trans»
«Au-delà» «par-delà»1
TR
TR
Tra
Trans
Train
Transport
Traducere , « conduire au-delà »
Transferre, « porter d’un lieu à un autre »
d’un corps à un autre.
Transcrire – Transcoder
Mener les signes, les caractéristiques d’un objet, d’un lieu, d’un être, vers un autre, essayant de rester le plus fidèle possible, toujours en maladresse, différant forcément.
Trans / mimer
On saisit ce qui nous semble être caractéristique d’un objet, d’une personne, d’un élément et on le reproduit via ce que l’on a
de plus immédiat, de plus intime,
le corps.
M I M M I M
E R E R
M I M M I
E R E
M I
J’appellerai MI ce point de liaison entre au-dedans de mon corps et les choses autour.
MI
à MI -parcours
aMI parcours
un peu de moi aussi
MI
C’est en passant par MI que je tente de comprendre.
***
Maintenant il faut chercher.
J’ai déjà trop cherché, j’en ai déjà assez.
Comment faire des recherches sur un principe que j’invente ?
Trop de moi ici – mon mémoire - mon sujet - mon principe – mon MI -
"Me-Yeah, I’m here
And so, what?
I don’t care about me or MI
Or a bit maybe"
Je divague
« vagues »
Tout reste vague ou flou et ce n’est plus amusant.
***
MI-, élément formant 2
2. MI-, élément formant,
CNRTL, 2012.
En ligne disponible sur : https://www.cnrtl.fr/definition/mi.
Consulté le 20 novembre 2021.
C’est-là le titre qui apparaît lorsque j’ouvre l’article consacré à MI sur le site du CNRTL.
Elément tiré du latin medius « qui est au milieu de », entrant dans la construction de substantifs (ou de locutions adverbiales) et de nombreux adjectifs ou locutions adjectivales désignant le milieu ou la moitié de la réalité exprimée par le 2e élément sans que cette notion ait généralement une précision mathématique.
MI c’est donc du bricolage pour essayer de mettre le doigt sur un point ou une zone rempart plus ou moins discernable.
Il s’agit d’un mot de construction
A - [les mots const. désignent une fraction de temps ou d’espace; ils sont le plus souvent utilisés dans des locutions adverbiales, généralement précédés de la préposition à]
Lire cela me donne encore plus l’impression que MI pourrait bien désigner ce que je tente d’exprimer :
Un système bricolé entre deux objets qu’on espère rapprocher en ce même endroit flou qui convainc de loin
quand on n’y regarde pas trop.
Ou plutôt qui convainc lorsqu’on accepte d’y accorder son regard, de s’y adapter et de s’y joindre.
Dans Le Robert Collège (2008)3, je lis :
MI-Elément, du latin medius « au milieu ».
Suivi d’un nom et formant un nom composé Le milieu de. La mi-janvier.
Locution adverbiale. À MI- (suivi d’un nom) : au milieu, à la moitié de. À mi-hauteur.
3. Marie-Hélène Drivaud (dir.) Le Robert Collège / Dictionnaire 11-15 ans.
Paris, Le Robert, 2008.
« -MI » p.895.
(formant un adjectif composé) Yeux mi-clos.
Mais MI c’est plein d’autres choses :
plein d’homonymes qui accentuent encore sa multiplicité,
ses différents possibles, son côté couteau-suisse,
outil de composition et lien bricolage.
MI [mi] nom masculin.
Troisième note de la gamme d’ut.
Étymologie. Première syllabe du mot mira dans l’hymne latin de saint Jean-Baptiste.
Homonymes.
MIE « mie de pain », MIE « amie », MIS « placé », MIS « vêtu ».
Ce qui me plait dans ces premières définitions c’est que le MI rentre comme élément de composition et indique un point sur une information qui prime par rapport à lui,
à MI.
Dans mi-janvier « janvier » reste l’information principale, « mi » joue le rôle de pointeur pour désigner encore mieux ce que l’on donne à voir de ce mois. Rien que ça.
Le mi musical n’est qu’une note parmi celles qui composent une mélodie et on l’appellera « mi » comme une sorte de surnom, la première syllabe de mira.
Un peu comme je viens de construire mon MI à moi en partant de mimer.
MI comme pointeur…
ça me fait penser à une figure en peinture qu’on avait évoquée lorsque j’étais en histoire de l’art à la fac de Grenoble.
Je ne savais plus son nom, je viens de le retrouver
un « admoniteur »
un personnage qui pointe du doigt, qui apostropheb, qui montre et qui indique ce qu’il faut regarder dans la peinture dans laquelle il figure.
MI a un peu ce rôle j’imagine : c’est ce qui va me servir à indiquer, à donner à voir et peut-être intégrer ce que j’interprète.
b. En recherchant ce qu'était
un «admoniteur» je suis tombé sur
cette définition du site le-dictionnaire.com.
«Dans la peinture, l'admoniteur est le personnage qui regarde, apostrophe le spectateur et l'invite à participer au tableau.»
J'ai trouvé amusant cette utilisation du verbe «apostropher» auquel je n'aurais pas penser. Mais maintenant je vois, dans ce signe, un personnage qui désigne du bout du doigt.
Pour moi l'apostrophe peut bien être une sorte d'admoniteur dans l'écriture. Il permet de passer directement d'un mot à un autre,
il fait transition.
Définition disponible en ligne sur : https://www.le-dictionnaire.com/definition/admoniteur
***
Alors mes MI à moi c’est quoi ?
Quels sont mes bricolages ?
Comment est-ce que j’indique, je montre, je modèle ?
Je l’ai déjà un peu expliqué au tout-début : je mime les objets qui m’intéressent, fais de mon corps une pâte-à-modeler avec laquelle je façonne une forme qui est celle de l’objet,
de sa totalité ou d’une partie seulement,
celle qui le caractérise le plus, le plus souvent.
Ce modelage peut se faire dans tout mon corps autant que dans une petite partie de celui-ci comme si je réalisais une sorte de
gros plan, éludant tout le reste.
C’est ainsi que je vais trouver ma zone floue, mon MI, qui fait de mon corps ni le mien - puisque ce n’est pas ma manière d’agir « naturelle » - ni celui de l’objet imité.
MI, mon MI, est plus intérieur et de ce fait certainement moins spectaculaire et plus difficile à exprimer avec des mots.
Moi je ne peux pas indiquer un point dans l’espace ou le temps comme le MI de « mi-janvier ».
Mon seul espace, mon seul ancrage, ça restera moi et juste moi.
Je ne désigne pas ce que je veux montrer, questionner, comme l’admoniteur des peintures de la Renaissance :
j’essaye de le reformer-reformuler dans ma chair.
MI, mon MI, est plus intérieur et de ce fait certainement moins spectaculaire, plus difficile à exprimer par les mots.
Une image me revient qui serait proche de mon MI, celle du diptyque de Nasmyth que j’ai vu au Musée des Beaux-Arts de Lyon.
***
En mars 2016 je parcours l’exposition Autoportraits, de Rembrandt au selfie4 et rencontre deux photographies en noir-et-blanc.
4. Musée des Beaux-Arts de Lyon. Commisariat d'exposition : Sylvie Ramond, Stéphane Paccoud, Ludmila Virassamynaïken, Autoportraits, de Rembrandt au selfie.
Lyon : 25 mars - 26 juin 2016.
Assez grands tirages, deux A3 à peu près. À gauche une photographie du dos de la main rocailleuse et ridée d’un homme ; à droite, en comparaison, une petite pomme fatiguée, tête en bas.
Une lumière latérale traverse les images. Elle vient du côté gauche, découpant les surfaces, leurs multiples reliefs. J’avais déjà vu ça sur certains des portraits de mes arrière-grands-parents : des détails retracés, à l’encre ou au crayon, accentuant les formes.
Je me souviens donc particulièrement de cette rencontre-là,
Avec ces deux photos :
À cette époque un petit carnet de croquis me suivait dans toutes mes visites d’expositions.
J’y glanais informations, références et images percutantes.
Je lis le cartel.
Il est écrit que ces images ont été associées dans le cadre d’une publication scientifique de recherches concernant la Lune parue en 1874.
The moon considered as: a planet, a world and a satellite , écrit par les deux astronomes écossais James Carpenter et James Nasmyth, avait été illustré par de nombreuses maquettes, dessins et photographies de ce dernier.
Cette pomme et cette main en font partie.
Elles illustrent les effets du vieillissement sur la surface des choses, la raison pour laquelle la Lune serait couverte de reliefs,
de bosses, de creux.
Dans chaque phénomène naturel sur cette terre
– le grand champs duquel nous puisons nos expériences et élaborons nos analogies –
nous voyons une succession constante de changements en cours.
Une progression constante d’un stade de développement à un autre. Une mutation perpétuelle de la forme et de la nature de la même substance matérielle se produit : nous voyons la semence se transformer en plante, la fleur en fruit et l’ovule en animal. Dans le monde inorganique, le même principe s’applique, toutefois, en raison de leur vitesse de progression plus lente, les changements qui s’y produisent se manifestent à nous plutôt par leurs effets que par leur fonctionnement observable. Et quand nous considérons, comme nous sommes obligés de le faire, que les mêmes lois régissent les plus grands comme les plus petits processus de la nature […] nous sommes amenés à nous demander s’il existe dans l’univers une matière à partir de laquelle des corps planétaires pourraient être composés et dans quelle mesure leur formation à partir d’une telle matière pourrait être expliquée par le fonctionnement de lois matérielles connues.5
5. James Carpenter et James Nasmyth, The moon considered as: a planet, a world and a satellite. Londres, John Murray, Albemarle Street, 1874. Chapitre I : « On the cosmical origin of the planets of the solar system » p. 1-2, traduction personnelle.
En ligne disponible sur :
« The Project Gutenberg EBook of The Moon, by James Nasmyth and James Carpenter », The Project Gutemberg, Eric Hutton, Stephen Hutcheson, 4 janvier 2018. https://www.gutenberg.org/cache/epub/56305/pg56305-images.html.
« The moon considered as a planet, a world, and a satellite », Internet Archive, University of California Libraries, 4 mars 2008. (Édition de 1885).
https://archive.org/details/consideredasmoon00nasmrich/ page/n23/mode/2up?view=theater.
Consultés le 23 novembre 2021.
Comme si Nasmyth, sa main, et cette petite pomme pouvaient tout à fait être comparées à la Lune.
Comme si elles pouvaient faire Lune.
Faire L’une, toutes entre elles.
Comme si la Lune était finalement accessible dans notre propre corps si l’on voulait l’y voir.
Pourtant la main est main
la pomme est une pomme
mais l’image reste claire.
Pour amener la Lune à soi il suffit de l’amener en quelque chose d’accessible, ou mieux
en soi,
par points de concordances.
Pourrions-nous devenir chacun, chaque objet, chaque corps, chaque membre, un de ces corps planétaires éloignés de tout autre mais régis par les mêmes lois ?
Serions-nous donc capables de comprendre les autres parce que nous sommes matière ?
Parce que nous sommes corps.
Autoportrait n’en est pas un : c’est une vision lunaire intégrée.
On ne se transformera pas en Lune, on sera presque Lune.
Un ersatz de Lune sur un bienentendu.
6
6.
James Nasmyth,« Back of hand & shrivelled apple. To illustrate the origin of certain mountain ranges by shrinkage of the globe », héliotype in James Carpenter et James Nasmyth, The moon considered as: a planet,
a world and a satellite.
Londres, John Murray, Albemarle Street, 1874. Planche II, p.30.
***
Pourrait-on penser que MI se trouve plutôt dans l’analogie ?
Faire d’une simple pomme et d’une simple main une surface lunaire sans aucun artifice ainsi qu’une représentation des effets du vieillissement, est un processus qui relève davantage de l’analogie que de celui de l’imitation.
Alors l’analogie c’est quoi ?
Je reviens au site du CNRTL.
la première définition que j’y lis dit que l’analogie, dans le langage commun, se constitue sous un rapport de ressemblance, d’identité partielle entre des réalités différentes préalablement soumises à comparaison ; trait(s) commun(s) aux réalités ainsi comparées, ressemblances bien établies, correspondance. 7
7. ANALOGIE, subst.fém.,
CNRTL, 2012.
En ligne disponible sur : https://www.cnrtl.fr/definition/analogie. Consulté le 24 novembre 2021.
Plus bas on nous dit qu’il s’agit d’un raisonnement consistant à passer d’une ressemblance partielle à une ressemblance générale.
Lorsque j’ai fait mon stage chez l’artiste Camille Llobet en juin 2021, celle-ci m’a conseillé de lire plusieurs de ses livres dont un sur l’analogie mais je n’ai pas vraiment bien pu le regarder.
C’était un livre plutôt scientifique, de la psychologie, elle s’intéresse beaucoup au cerveau humain.
Moi, l’analogie ça me fait penser au générique d’ouverture
du film 8 femmes8 de François Ozon sorti en 2001.
8.
extrait du générique du film de
François Ozon, 8 femmes, (France), 2001.
Des plans sur différentes fleurs représentant les huit actrices, leur personnage, leur particularité physique à elles, leur personnalité.c
c. Selon la vidéo "Les Génériques de François Ozon" de l'émission Blow up sur Arte,
ce générique a été inspiré de celui de Cukor dans son film Les femmes (1939).
Ce rapport aux références semble faire partie intégrante de
8 femmes (je suis très loin de toutes les saisir).
Dans cette vidéo il est aussi dit que c'est Catherine Deneuve, une des actrices principales, qui a aidé à choisir les fleurs qui feraient portraits.
En ligne disponible sur : https://www.arte.tv/fr/videos/100210-055-A/blow-up-les-generiques-de-francois-ozon/
Consulté le 24 novembre 2021.
J’aime beaucoup ce film pour ses chansons, son esthétique volontairement surannée, son côté très théâtral et aussi pour les portraits qu’il donne des huit femmes et donc des huit actrices.
En fait j’aime juste jouer.
***
J’ai retrouvé le titre d’un des livres que j’avais parcouru chez l’artiste Camille Llobet lors de mon stage.
Il s’agit de L’analogie : cœur de la pensée9 d’Emmanuel Sander et Douglas Hofstadter.
J’écoute des conférences de l’un et de l’autre sur le sujet depuis un peu plus de deux heures.
9.
Emmanuel Sander ; Richard Douglas Hofstadter, L'analogie : cœur de la pensée.
Paris, Odile Jacob, 2013.
Selon eux l’analogie est à la base de la conscience humaine puisqu’elle permet de créer des familles de concepts en liant des objets singuliers en différentes catégories.
Il y a plusieurs sortes de chaises mais on reconnaitra qu’une chaise cannée est une chaise tout autant qu’une chaise de jardin;
la maman d’un enfant sera l’unique Maman sur terre pour lui jusqu’à ce qu’il comprenne que « maman » est un mot concept commun à lui et aux autres enfants et qu’il existe donc plusieurs « (M)aman(s) ».
L’analogie va permettre de s’y retrouver dans la salle de bain d’un autre en comparant notre expérience de la toilette à celle que pourrait avoir notre ami.
L’analogie est une forme de logique qui permet de faire des connexions et de s’en sortir dans le monde, dans l’espace, les concepts, les mots.
Sur la chaîne YouTube de « X-Sciences de l'Homme et de la Société (X-SHS) », Emmanuel Sander donne une masterclass intitulée
« L’analogie au cœur de la connaissance »10.
10. Emmanuel Sander, « L’analogie au cœur de la connaissance », X-Sciences de l’Homme et de la Société (X-SHS),
[21 décembre 2016].
En ligne disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=3T-n_zyEzBg.
Consulté le 27 novembre 2021.
Vers 1h 2 min, il donne des exemples d’approximations sémantiques de jeunes enfants.
Celles-ci démontrent leur compréhension du vocabulaire acquis;
elles dévoilent la façon dont les enfants font des associations d’idées entre les actions qu’ils accomplissent et les verbes qu’ils choisissent comme étant justes pour les exprimer.
Camille, 2 ans : « J’ai déshabillé la banane ! » [épluché]
Joane, 2 ans : « Allez, maman, allume tes yeux ! » [ouvre]
Tom, 8 ans : « Combien de temps ça dure un cochon d’Inde ? » [vit]
Tom, 8 ans : « Tonton, ta cigarette est en train de fondre. » [se consume]
La manière qu’ont les enfants d’utiliser le langage est un indicateur intéressant de leur relation aux concepts, de leurs processus analogiques et de ce comment ils dissèquent les actions.
Cela échappe aussi parfois aux adultes.
Par exemple, on pourrait dire « éteindre les volets » ce ne serait pas forcément moins juste.
Et moi qui essaye de choisir consciemment entre comprendre et apprendre alors qu’ils finissent toujours par m’échapper.
J’essaye de voir ce que ces mots cachent, quelles actions ils recouvrent, alors qu’en réalité les concepts des mots sont mouvants et peuvent changer selon les contextes.
Par conséquent les analogies le sont aussi, mouvantesd.
d. À la fin de sa conférence, Emmanuel Sander revient par exemple sur les termes utilisés dans le numérique : bureau / clé etc. qui ont un sens très différent du bureau (la table sur laquelle on travaille) ou de la clé (l’outil qui nous permet d’ouvrir ou fermer une porte).
Cependant le choix de ces mots utilisés dans le contexte informatique semble logique de par leur utilisation. La clé qui permet d’ouvrir sur des informations ou de les sécuriser, le bureau sur / dans lequel on arrive pour commencer à travailler.
Pourtant les mots ont toujours l’air de décrire une action physique même lorsque l’on s’attaque à quelque chose d’invisible, de mental.
Encore une fois comprendre est un bon exemple.
***
Qu’est-ce qui va m’aider, si j’ose dire, à modeler ma pensée ?
Qu’est-ce qui va permettre de la faire fluide ou raide ?
Le 14 janvier 1932, Marcel Jousse (prêtre, chercheur et enseignant en anthropologie) donne un cours en Sorbonne : « Le geste mimique et la création de la métaphore »11.
11. Association Marcel Jousse,
« Le geste doit précéder la parole ».
En ligne disponible sur :
http://www.marceljousse.com/le-geste-doit-preceder-la-parole/
(Modifié le 21 avril 2016).
Consulté le 27 novembre 2021.
C’est mon geste. Je suis conduit par mon geste.
Ce n’est pas la parole qui me conduit, c’est mon geste.
Et voilà pourquoi, sans que je m’en aperçoive, certains de nos spectateurs peuvent me dire : ‘Oui, on sait votre pensée. Avant que vous ne l’ayez exprimée, vous l’avez jouée’.
Et c’est la raison pour laquelle l’enfant prend le monde réel avec tout son corps et puis le rejoue et vous donne ensuite la transposition orale de ce réel intussusceptionné, mais avec toujours cette interférence stupéfiante et inexplicable du besoin de comparer. Cela je n’ai encore pu me l’expliquer. Je suis stupéfait moi-même de la définition que j’ai été obligé de donner : ‘L’homme est un animal qui fait des comparaisons’. Aussi le petit enfant qui est en face de l’objet, va le mimer et tout de suite, le jeu de la comparaison va se produire. Il va donner ce qui se rapproche le plus du geste qu’il a vu et qui est une des joies de son expression.
12. Jacques Lecoq (dir.),
Le corps poétique : Un enseignement de la création théâtrale
Arles : Actes Sud - Papiers collection « le temps du théâtre », 2016. p.39.
e. « [...] l'acte de mimer est un grand acte, un acte d'enfance : l'enfant mime le monde pour le reconnaître
et se préparer à le vivre. Le théâtre est un jeu qui continue cet événement. Le terme de mime est aujourd'hui
tellement réducteur qu'il faut en chercher d'autres. C'est pourquoi j'utilise parfois le terme mimisme (si
bien éclairé par Marcel Jousse dans son Anthropologie du geste
[ éditions Gallimard ] ), qu'on ne confondra pas avec le mimétisme.
Le mimétisme est une représentation de la forme, le mimisme est la recherche de la dynamique interne du sens.
Mimer c'est faire corps avec et donc comprendre mieux. »
Lire ce genre de phrase dans Le corps poétique m'a fait très plaisir.
Mimer était enfin vu comme quelque chose d'essentiel et non comme un geste accessoire, artificiel, assez peu intéressant.
Cependant j'ai tout de même voulu plutôt me référer à Jousse qui, pour moi, abordait plus mon questionnement : celui de la recherche d'un geste premier directement lié à l'appréciation du monde autour, de son émergence dans notre monde à nous.
J’ai découvert Marcel Jousse l’an dernier :
Jacques Lecoq y faisait référence dans Le Corps Poétique12 e, livre dans lequel il explique sa conception du théâtre et ce comment il l’enseigne dans l’école qu’il a fondée.
J’ai tout de suite fait le rapprochement avec ma façon d’essayer de comprendre et avec MI, mais difficile d’expliquer.
Je trouve drôle que dans ce cours Jousse ait choisi de parler d’une transposition du réel dans le corps qui soit intussusceptionnée.
C’est en fait un choix de mot très proche du mien, de mon expérience et de ma conception de comprendre.
Selon le site du CNRTL intussusception13 est un terme de biologie qui désigne le mode d’accroissement des êtres vivants consistant en la pénétration par endosmose des éléments nutritifs à l’intérieur des cellules des êtres organisés.
Il apparaît pour la première fois sous la plume de Descartes,
en 1650 :
introduction dans un corps organisé de matières nutritives qu'il absorbe et assimile.
13. INTUSSUSCEPTION, subst. fém.,
CNRTL, 2012.
Disponible sur : https://www.cnrtl.fr/definition/intussusception.
Consulté le 20 novembre 2021.
L’enfant en mimant le geste de l’objet, de l’autre qu’il observe, va l’absorber et le faire devenir sien.
Il l’assimilera et l’objet, l’autre, fera désormais partie de lui
de son monde, de son vocabulaire.
Un enfant voit-il tomber des feuilles ? Ce ne sont pas les feuilles qui vont le frapper, mais il a vu des plumes tomber de la poule qui s’ébroue et devant cet éparpillement de petites feuilles, il rejoue cet éparpillement de petites plumes et il dit : ‘Maman, regarde les plumes de l’arbre qui tombent’. C’est là un des beaux exemples de l’expression gestuelle enfantine.
Cependant il y a une seconde étymologie du mot.
Une étymologie liée aux intestins.
Cela montre bien le caractère viscéral que Jousse voulait donner au désir de transcription par le geste dans son cours :
INTUSSUSCEPTION, 1747 :
Entrée d’une portion d’intestin dans une autre
James, Dictionnaire univ. de méd. trad. de l'angl.
par MrsDiderot, Eidous et Toussaint, s.v. introsusceptio).
Composé sav. du lat. intus « dedans » et susceptio (susception*).
Comme si la volonté de transcription du réel était viscérale et qu’elle bouchait tous les intestins tant que l’on ne trouve pas moyen de la faire sortir,
on imprime in pour exprimer ex.
Un « télescopage » d’une partie de l’intestin dans l’intestin.
Une métamorphose interne.
C’est peut-être là que nous avons la solution. C’est que les feuilles et les plumes font le même geste. Il y a ce je ne sais trop quoi de très fin, de virevoltant, de planant, de tournoyant, de tourbillonnant, très doucement, et qui se pose. L’enfant l’a saisi, et c’est par le caractère mimique des deux objets que s’est fait le rapprochement d’où jaillit pour nous ce que nous appelons : la poésie.
***
Transformer, métamorphoser
Transformer et métamorphoser sont relatifs à l’action de donner une autre forme à une personne ou à une chose.
Transformer s’emploie lorsque sont concernés les apparences, les manières d’être de quelqu’un (le maquillage transforme son visage) ou bien son caractère, sa nature (l’argent à transformé sa vie).
Le changement intervient aussi pour des choses (le nouvel éclairage a transformé la maison, le prestidigitateur transforme un foulard en oiseau).
Métamorphoser est en usage dans des contextes analogues (cette coiffure la métamorphose), mais implique toujours un changement de forme total avec l’idée de merveilleux ou d’inattendu, l’objet ou la personne métamorphosés devenant méconnaissable :
« la poésie métamorphose le monde, l’artiste métamorphose tout en or »
(Jean Cocteau, Potomak).14
14. Dominique Le Fur (dir.) ,
Le Robert, Dictionnaire des synonymes et nuances.
Paris : Robert Edition,
collection les usuels, 2007. p. 1178.
Ces exemples tirés du Robert des synonymes et des nuances
me conforte dans l’idée du MI-TR qui va transformer.
comprendre, dans sa conception la plus parfaite, serait peut-être plus de l’ordre de la métamorphose mais en réalité je pense qu’il reste plus une forme de transformation mais achevée, aboutie.
On ne ressent plus qu’il y avait, au départ, deux formes.
Métamorphose va trop du côté du merveilleux : le changement d’une forme à l’autre est total, il n’y a plus de points de repère et de modelage avec l’objet premier.
Transformer est plus du côté du fantastique, on avait étudié ça dans certaines réécritures de Cendrillon au lycée.
La citrouille se transforme en carrosse, celui-ci conserve la forme ronde de la courge. Ces formes restent comparables, analogues.
Mimer peut donc être un des chemins vers la transformation.
Comprendre serait l’aboutissement de l’expérience.
***
Dans l’introduction de son texte « Les trois corps de l’animal sportif »15, Elie During reprend Bergson en expliquant que celui-ci propose de définir l’homme comme un « animal sportif ».
15. Elie During,
« Les trois corps de l’animal sportif »,
in Patrice Blouin (dir.), Des corps compétents (sportifs, artistes, burlesques).
Dijon, Les Presses du réel ; Nice [Villa Arson], 2013.
p. 29-42.
[...] un « animal sportif », capable d’acquérir une variété d’automatismes et de les faire jouer les uns contre les autres.
Dans la partie « Flow » de son texte, During décrit l’état de concentration, de détachement, de conscience modifiée quasiment indiscernable de l’extérieur dans lequel le sportif se trouve lors d’un effort intensif.
Une sorte de somnambulisme, […] entre attention et distraction, hyper concentration et dispersion, tension et détente, contrôle et lâcher-prise, intuition et automatisme […].
Une forme d’absorption, parfois transe hypnotique ou rêve éveillée16.
16. Ibid, p. 29-30.
Quand je joue, je mime, j’interroge, je pense atteindre une énergie semblable.
Une énergie qui me sort de l’espace ambiant,
du temps ambiant.
Tout devient flou autour : à la foi décuplé et distant.
Au-delà de toutes lignes d’horizon.
MI je l’ai formé à partir de mimer (on commence à le savoir).
Maintenant MI se trouve bien sûr dans mimer mais il peut désigner tout ce qui me permettra d’aller vers, de transcrire, transférer, transformer pour enfin, peut-être, comprendre.
Il pourrait donc se trouver dans ces moments de concentration.
Dans cet état différé.
Dans plusieurs de ses travaux, Camille Llobet met en place des expériences performatives menant à une grande concentration.
Dans Revers17 elle observe et décrit à voix haute, en temps réel et avec précision, les formes évanescentes qu’elle perçoit sous ses paupières en se déplaçant les yeux fermés.
17. Camille Llobet, Revers,
vidéoprojection (haut-parleurs, vidéo 4K, son stéréo), 6 min 50 sec, 2018.
Elle s’est entraînée tant de fois qu’elle développe des
automatismes : change la plasticité de son cerveau et perçoit ces formes lumineuses aussi nettement que lors des mises en place et du tournage, en dehors du temps de l’expériencef.
f. C'est ce que l'artiste explique dans la notice de cette pièce :
« À la suite du tournage – qui a demandé un entraînement mental et physique important – ce phénomène perceptif s’est imprimé dans le cerveau de l’artiste comme un symptôme. »
Ibid, notice en ligne disponible sur : http://www.camillellobet.fr/index.php/travaux/revers/,
Consulté le 27 novembre 2021.
verdâtre [1sec de silence]
épais [0,5 sec]
deux petit’s’ encoches [2 sec]
bleu nuit dans l’ (eû) [2sec]
dans l’ gris.
[3 sec]
contour /
orange [2 sec]
tremblote [2 sec]
les taches s’épaississent [0,5 sec]
s’imprimentensuperpositionsplusgrossessurplusieursplansverslavant
Les états de concentration qu’elle recherche et rencontre dans ses expériences performées par elle ou par d’autres sont pour elle une véritable richesse.
C’est dans ces corps concentrés dans une action précise qu’elle trouve une beauté : celle de l’apparition de la sensibilité de ces performeurs, de ces personnes (qui ne sont pas forcément liées au monde artistique).
Pour moi il y a du MI dans le geste, celui de mimer, celui d’aller vers, d’essayer d’exprimer.
Dans ces pièces de Camille Llobet, MI serait dans les mouvements et gestes involontaires qui se produisent lors de ces exercices performatifs.
Quand on oublie tout ce qu’il y a autour et que nous ne sommes plus dans la représentation.
Quand nous oublions qu’il faut agir et adopter telle ou telle expression pour être conforme à ce qui nous parait être la norme.
Concentration
On retrouve le cum de comprendre
Cela voudrait dire que la concentration, cette concentration générée par tout le corps lorsque l’on s’applique dans une tâche, serait un moment où la personne rencontre son centre ?
Donc son soi profond ?
Son vrai soi ?
Cela donnerait « avec son centre », « se centrer avec soi »,
« en soi ».
Cela ne me paraît pas stupide.
***
La concentration pour comprendre
ses failles aussi : transition entre soi de « convention »,
de « représentation » et peut-être « vrai soi ».
Le premier travail présenté dans la monographie de Camille Llobet de 201318 semble exactement convenir à cette idée de transition.
18. Camille Llobet, textes de Paul Bernard, design de Lionel Catelan,
« Décrochement » in Camille Llobet.
Lyon : éditions ADERA, 2013.
p.3-12.
De faille entre le « soi de convention » et son « centre ».
Il s’agit de Décrochement19, une vidéo de 46 séquences réalisées entre 2006 et 2010.
19. Camille Llobet, Décrochement,
vidéo (diffusée sur cadre numérique,
46 séquences, écran LCD 7", 15 x 20 cm)
2006-2010.
L’exercice était simple : Camille Llobet, dans des lieux touristiques, profite de la foule pour filmer les personnes qui se font photographier.
Différentes personnes dans différents décors.
Ils défilent et passent de la pose photographique, souvent très convenue, à leur état habituel.
Le passage du « soi poseur » au « soi habituel »
(ces termes sont de moi).
Cette concentration-là n’est certainement pas la même que celle des sportifs décrite par During mais elle existe tout-de-même.
Elle existe à l’échelle de tous et est observable partout ou presque.
Pose :
statique
hauteur
épaules tendues, relevées.
Attitudes bras levé, croisés, main sur la hanche.
Parfois décalée sur le côté, la tête, posée sur l’épaule.
Tête droite sur cou long, parfois légèrement baissée
sans doute pour donner plus de profondeur au regard
œil figé, perçant, ou, au contraire, en recherche d’approbation.
Sourire dent, bouche légèrement ouverte
ou
au contraire
bouche pincée, sourire discret, inexistant parfois.
le menton se baisse rapidement ou, au contraire,
se relève vers le ciel,
vers terre ou vers ciel.
Yeux papillonnants
retrouvant leur lumière, se réhumectant peut-être,
humectée la bouche,
déplacement de la langue au creux de joue, ou non.
Silence gardée
sourire de remerciement,
pince maintenue ou, au contraire, parole abondante et immédiate
(déjà prochaine étape)
demande sans doute de voir l’image.
Main amenée au visage, indicative
main dans les cheveux en levant le pas.
Une demi-seconde avant le pas
Élévation ou affaissement
Le décrochement a pris fin.
Ces séquences ont été diffusées sur cadre numérique, support qui accentue le côté ordinaire de ces situations et rappelle le souvenir de vacances.
Il y a peut-être quelque chose de l’amateur dans ce travail.
L’amateur-amoureux, quelqu’un qui n’a pas les codes mais observe, admire et joue avec.
Décrochement c’est regarder, observer, reprendre le souffle entre deux états et en garder un souvenir.
C’est la prise de vue du déplacement, du transfert MI.
On reste vraiment dans l’observation d’un processus naturel sur lequel nous n’avons pas d’influence.
C’est un peu comme observer le comportement des oiseaux.
On reste discret et émerveillé sans vouloir rien influer.
On aime les observer et on les aime en amateur.
On collecte les petits bouts d’eux
à travers leur réveil après la pose.
***
Amateur
Définition 1 du Robert Collège :
Personne qui aime, cultive, recherche (certaines choses).
Robert Collège (toujours) :
Amoureux :
3. Qui a un goût très vif pour quelque chose.
Fervent, fou, passionné
Contr. Froid, Indifférent.
« 1. Qui éprouve de l’amour. »
« 2. Qui aime. »
Pour moi l’amateur pourrait être amoureux.
Et pour moi, un artiste sera, de toutes façons (souvent),
un amateur-amoureux-professionnel.
Un amateur-amoureux-professionnel de par la formation qu’il reçoit en art, en France.
Pas de technique réellement acquise, pas de réelle connaissance dans un domaine particulièrement bien défini, une curiosité pour tout type de discipline qui pourrait nourrir sa réflexion sans pour autant devenir spécialiste.
Être amateur-amoureux-professionnel,
en tant qu’artiste,
ce serait l’idéal à mon sens.
***
Faire la musique20 est une autre pièce de Camille Llobet.
20. Camille Llobet, Faire la musique, vidéoprojection (haut-parleurs, vidéo 4K, son stéréo) 15’27, 2017.
Elle a emprunté ce titre aux pilotes de la Patrouille de France qui, pour s’entraîner à retenir une chorégraphie synchronisée en voltige aérienne, font des répétitions mentales.
« Faire la musique » c’est se figurer faire l’action sans la faire pour autant. Ce nom évoque l’idée de ritournelle, de partition.
De petite mélodie qui se fredonne en tête.
Selon le principe des neurones miroirs, on émet l’hypothèse qu’imaginer une action active plus ou moins les mêmes zones cérébrales que de la réaliser physiquement, cette action.
C’est ce qui incite les sportifs à jouer avec la plasticité de leur cerveau par l’entraînement mental de gestes extra-ordinaires pour tendre vers des automatismes aussi ordinaires que de mettre un pied devant l’autre ou réagir à un danger.21
21. Ibid. notice disponible en ligne sur :
http://www.camillellobet.fr/index.php/travaux/faire-la-musique/.
Consultés le 23 novembre 2021.
Camille Llobet va donc filmer différents athlètes de haut niveau ayant tous en commun cette pratique de la répétition mentale.
Dans un espace à la fois épuré et singulier, l’intérieur de la pile d’un pont, les différents sportifs sont filmés chacun leur tour, l’un en plan américain, l’autre en pied etc.
L’image reste nette, le cadre précis, immobile pour chaque performeur. Ainsi on ne perd pas une miette de cette concentration hypnotique, expressivité inconsciente ; de leurs micro-gestes, ébauches d’une chorégraphie qu’ils devront réaliser lorsqu’ils seront en conditions réelles.
Certains ont une agitation minimale, d’autres beaucoup plus visible.
Performeur 1
Se mettre en place : battre légèrement des bras, une fois seulement, avant de les placer, fermer les yeux, lever le menton,
mâchoire tombante.
Lever la tête, ouvrir la main, côté, côté
tressaut
tressaut
tête baissée,
côté, côté
poing fermée sur le ventre, main ouverte à l’air libre
yeux fermés, bouche tombante
(Une bouche de chanteur : sur le point de bailler)
Les respirations sont très appuyées selon les personnes filmées.
Quand elles sont là, elles sont rythmiques,
accompagnant le mouvement.
Il me semble que le mouvement est moins ample quand la respiration est moins appuyée. Cela pourrait effectivement indiquer un trait de personnalité du performeur. Sa timidité ? Son besoin de donner son maximum ? Tout dépend, je ne peux que supposer.
Accrochement, Tirade, Décrochement (fin de prestation).
Performeur 3
Œil caméra une ou deux secondes, sourcils froncés.
Touche les phalanges de son pouce avec celles de son index,
serrés les poings, ou presque, trembles des doigts,
ferme les yeux.
Menton baissé, bouche pincée,
mouvements de jambes presque imperceptibles,
Tourne d’un côté à un autre presque à la manière d’une poupée
dans une boîte à musique :
Bras solides, légèrement repliés.
Avant-bras avancent un peu, comme pour marcher.
Révèle le regard, sourcils froncés.
Performeur 5
Entre en inspirant, expirant, fermant les yeux.
Lève une main gauche au niveau de l’abdomen et la fredonne autour,
de la main,
tout en restant du côté du pan de chemise gauche : ne dépassant pas la ligne des boutons blancs.
Performeur 6
Souffle fort : à chaque geste.
Mains très expressives, prenant, se dépliant
Au-dessus de sa tête et partout alentours.
Expire sans cesse.
Deux poings en croix sur la tête
s’abaissent les mains tout en ouvrant les yeux.
Quelques secondes de suspens.
Sourire.
Main visage, regard.
En arrière-plan, l’atmosphère sonore de l’endroit : rivière, oiseaux sur fond de béton.
Cela nous projette encore ailleurs, dans un lieu non-identifié
à la fois forestier, désert et urbain.
Il aide à notre propre concentration en tant que spectateurs.
Certains performeurs parlent :
« 3 2 1 »
a dit l’un d’eux avant de sauter en écartant les jambes et les bras comme pour entrer dans la danse.
Le dernier murmure sans cesse, des petits sons émis, rapides, décrivant tout de manière inaudible.
Passages mélodiques.
Ratatam chuchoté.
inspire-expire, se frotte les mains 5 sec.
Lève l’une d’elle
les yeux toujours ouverts avant de se refrotter les mains
Rapidité : maingenouxcoude/mainstournantes/s’abaissent.
Tthy yyebf aytshbf fiejtz uijke iuijtjknv iuiuiui s viuiuiuiuw
(je n’entends rien)
Pffffffffff [soupir de fin]
Yyuyuyughh.
« Faire la musique » …
L’expression me semble plutôt juste.
L’état de transe,
la bouche tombante pour beaucoup,
la rythmique respiratoire
pour certains,
gestuelle,
la phrase,
Accroche-Tirade-Décrochement
Fin de morceau
***
Question de phrasé,
de rythmique,
MI c’était ça aussi.
Une abréviation de Mira donnant « mi », une des notes de musique que l’on connaît.
Des mots, des phrases, la musique.
Dans son texte Du Mimisme à la Musique chez l'Enfant22, Marcel Jousse explique que l’on s’attarde beaucoup sur les mots écrits alors que, dans l’oralité, les mots ne constituent que presque rien.23
23. Ibid. IV. « Le Phonomimisme auriculaire ».
24. Marcel Jousse, L'anthropologie du geste.
Paris : Gallimard - collection
« voies ouvertes », 1974.
Un mot, des mots, ont besoin de propositions, de phrases,
de contextes
Agent / Agissant / Agi
c'est ce que propose Jousse dans L’anthropologie du geste24
22. Marcel Jousse, Du Mimisme à la Musique chez l'Enfant. Paris, Paul Geuthner - collection « Travaux du laboratoire de rythmo-pédagogie de Paris », 1935.
Disponible en ligne sur :
« musicologie.org », numérisation réalisée par Yves Beaupérin.
https://www.musicologie.org/theses/jousse_01.html.
Consulté le 23 novembre 2021.
25
25. Ibid. Chapitre I : « Le rythmisme », partie I : « Le rythmo-mimisme », A : ouverture-a-b-c partie II : « Le triphasisme anthropologique mimismo-cinétique », ouverture.
p. 41-53.
En fait, Jousse suppose que certains de nos mots sont nés de contractions phonétiques,
de propositions d'hier.
Des propositions, phrases, actions, gestes, entre-imbriqués.26
26. Ibid. Chapitre I : « Le rythmisme », partie I, 3 : ouverture, A : « Le triphasisme anthropologique mimismo-phonétique »
p. 120-125.
Mots restes finalement,
alimentant encore nos perceptions du monde imperceptiblement
Donnent lieu à des combinaisons multiples,
toujours plus riches,
re-construivant encore.
Pour lui tout est rejeu : l’Anthropos (comme il l’appel) intègre l’extérieur en lui et en fait des mimènes, des observations mimétiques du réel.
Il les intussusceptionne pour ensuite les rejouer.
Communiquer et intelliger ce ne serait que ça :
rejouer le réel (Cosmos) intussusceptionné.
L’extérieur de soi intégré, contenu, en soi,
compris.
Cela serait perceptible dans tout ce que voit et produit l’homme.
Ainsi
Mimodrame serait le monde autour perçu par l’homme,
Il serait rempli d’interactions d’Agent/Agissant/Agi qui se croiseraient sans cesse;
Mimogramme serait la représentation graphique de cela;g
Phonogramme : la retranscription du réel intussusceptionné.
Retranscription orale et écrite,
celle du langage.27
Pour lui le langage c’est d’abord du geste.
Du geste mémorisé dans l’observation du réel, du Cosmos.
Du geste algébrosé, simplifié et devenu convention.h
Né dans un milieu rural d’une mère presque illettrée, Jousse regrette que la culture paysanne, culture de l’oralité, soit la seule (selon lui) qui permette de conserver un lien avec le fondement de sa pensée, de son intelligence, de son langage,
du geste.
Pour lui l’écrit et le langage de l’algébrose (le langage convenu) tuent une bonne partie de notre compréhension du monde si nous les abordons trop tôt.
Il reproche aussi cela à la musique dont l’apprentissage conventionnel nous empêcherait d’écouter vraiment le son des choses sans faire de parallèle avec notre culture musicale.
Elle entraînerait un manque de précision, une sorte de fénéantise, à intégrer les sons environnants.28
28. Marcel Jousse, L'anthropologie du geste.
Paris : Gallimard - collection
« voies ouvertes », 1974.
Chapitre I : « Le rythmisme »,
3 : « le rythmo-mélodisme »,
ouverture, p. 162 / A : ouverture-a-b, p.164-171 / B : ouverture-a-b-c, p.175-180.
La musique et la langue écrite seraient des outils de simplification des gestes environnants.i
i. En vérité le langage parlé socialisé, la langue convenue et celle-là même que l'on écrit, est aussi un outil de simplification des gestes autour et donc du réel (selon Jousse). Il y a notamment un passage que je trouve assez amusant.
Je vous le partage :
« On parle de l'origine du langage comme expression logique par « geste lingual ». Mais cette expression linguale se fait tous les jours. Dès qu'un enfant est en face du réel mouvant et sonnant, il rejoue le langage normal de l'humanité [ je pense que Jousse parle d'expressions orales s'inspirant directement du réel. « Wouaf-wouaf » pour chien, par exemple].Malheureusement, on l'arrête et on lui impose les
« algébrosèmes » de l'actuel « langage socialisé ». Dès lors, on en fait une apraxique en face des innombrables mimènes sonores des interactions du cosmos. Inutile de dire que le mécanisme laryngo-buccal n'a pas du tout été donné à l'homme pour s'exprimer.
Ce fut plutôt un amusement d'entendre, il y a quelques années, tel apologète déclarer que l'homme était prédisposé à être intelligent parce qu'il avait des cordes vocales. L'Antropos, cet animal paresseux, parle parce qu'il a à sa disposition un mécanisme de respiration et de manducation fort peu dispendieux d'énergie. Dira-t-on que la main de l'homme, cet outil multiforme, a été prédisposée pour commettre des fautes d’orthographes ? »
L'anthropologie du geste,
chapitre I : « Le rythmisme »,
partie I : « Le rythmo-mimisme »,
3 : « Le triphasisme anthropologique mimismo-phonétique »,
A : « Le mimisme oral triphasé »,
c : « Le premier langage... » p. 117.
Personnellement je ne vois pas où est le mal.
(Enfin si, le mal serait qu’on en oublie le monde du dehors et ce comment on l’avait d’abord saisi.)
D’autant plus que, selon lui, le rythme à une très grande importance dans la culture orale, celle du geste, puisqu’elle permet, notamment, la mémorisation.
Sa mère, dont Jousse s’inspire, lui avait transmis les Evangiles en le berçant et en chantant comme l’avais fait, avant elle,
sa grand-mère complétement illettrée.
C’est vrai que le rythme joue sur la mémorisation.
La mélodie aussi.
L’an dernier j’avais essayé de commencer un projet sur la mémoire des textes chantés que je suis sensée connaître par cœurj.
j. Si cela vous intéresse, je vous laisse le lien de deux de mes essais-brouillons sur Ombra mai fu de Haendel.
https://www.youtube.com/watch?v=1baWXpIvDsc.
https://youtu.be/VjWByxa-uhE
Le souci c’est que dès que les mots sont privés de leur mélodie habituelle, il est beaucoup plus difficile de les retenir.
La mélodie, si elle aide dans un premier temps, ne serait-elle pas un frein dans l’apprentissage et la mémorisation ?
Seulement les mélodies dont j’essayais de me passer étaient des compositions lyriques certainement plus complexes que celles de la berceuse traditionnelle.
Plus complexes puisque réellement écrites, composées pour un certain public à une certaine époque...
Ces compositions seraient-elles,
par nature,
un peu moins mobiles,
moins sensibles aux changements du style oral ?
Un style oral qui lui
prend forme(s)
et reprend forme(s)
J'ai l'impression que c'est ce que pourrait dire Jousse d'après
Du Mimisme à la Musique chez lEnfant...
29
29. Marcel Jousse, Du Mimisme à la Musique chez l'Enfant. Paris, Paul Geuthner - collection « Travaux du laboratoire de rythmo-pédagogie de Paris », 1935.
Disponible en ligne sur :
« musicologie.org », numérisation réalisée par Yves Beaupérin.
https://www.musicologie.org/theses/jousse_01.html. Consulté le 29 novembre 2021.
En ligne disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=_J063QlYcUU&t=2453s.
Explication des termes à partir de 6min 47sec.
Consulté le 29 novembre 2021.
Moi, est-ce que j'y crois?
Sommes-nous certains que les mélodies des berceuses d'aujourd'hui sont exactement celles des berceuses d'hier?
La berceuse est presque toujours transmise de bouche à oreille :
elle évolue ainsi selon les variations, le rythme de la langue, de la parole.
Le style oral est vivant et la plupart du temps non écrit
(même si je me doute que l'interprétation d'une mélodie écrite changera aussi selon les époques, les mœurs, la façon d'aborder l'écriture).
27. Jean-Claude Cheyssial, Université Bordeaux Montaigne et Association Marcel Jousse, Sur les pas de Marcel Jousse,
vidéo, 52 min 34 sec, 13 octobre 2014.
En ligne disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=_J063QlYcUU&t=2453s
g. Il parle en particulier des peintures rupestres et des hiéroglyphes égyptiens.
Je ne suis pas trop d’accord puisque les hiéroglyphes sont à priori un système d’écriture : tel dessin ne veut peut-être pas dire ce qu’il a l’air de dire, c’est un signe plus qu’une représentation.
Ses idées portant là-dessus sont expliquées, par exemple, dans l'anthropologie du geste [Paris, Gallimard, 1974], dans le chapitre I :
« le rythmisme », partie I : « le rythmo-mimisme » p.43-44 et p.104-112 ou chapitre II, partie II : « le bilatéralisme récitateur ».
p.231-232.
Cela est également évoquée dans la vidéo de l'Université Bordeaux Montaigne Sur les pas de Marcel Jousse [13 octobre 2014].
h. Ce serait pour cela que dans les racines des mots on trouverait toujours une idée du geste.
Par exemple : comprendre / prendre en soi.
***
Jousse considère l’homme comme bilatérale30
30. Marcel Jousse, L'anthropologie du geste,
Paris :
Gallimard - collection « voies ouvertes », 1974.
Chapitre II : « Le bilatéralisme », partie I :
« Le bilatéralisme créateur », ouverture,
1 : A-B-C. p. 207-216.
k. Il y a aussi du bilatéralisme dans le langage lié à l'enfance et à la saisie du monde :
coucou/wouaf-wouaf/clic-clac/flip-flap/toc-toc/ tic-tac/cuicui/crôas-crôas/hou-hou/bonbon/bobo/tété/tata/papa/maman/tonton/
mémé/pépé/papi/mamie/pipi/gratte-gratte/caca/coco/... voili-voilou.
/En haut
En bas/
Devant/
/Derrière
Côté Gauche/ Côté Droitk
La berceuse marche généralement de la même façon :
on berce de droite à gauche, de gauche à droite, et le rythme de la mélodie suit celui du corps.
Ce rythme c’est aussi celui de la marche.
Un rythme qui va devenir une habitude et qui sera à la base de la plupart de nos vies.
2 battements par seconde
selon la vidéo de « Scilabus31»
pour 5 battements par seconde en moyenne
dans un flux de paroles.
J’ai regardé cette vidéo car je me demandais pourquoi l’on a toujours envie de battre la mesure en secouant la tête, ou autre, lorsqu’on écoute de la musique.
D’après eux ce serait pour retrouver un rythme compréhensible par rapport à la surprise de l’écoute d’un morceau plus nuancé.
Ce rythme compréhensible est celui que l’on a intussusceptionné, le rythme bilatéral, celui de la marche.
Cela explique peut-être la facilité avec laquelle on retiendra un texte sous forme de berceuse.
31. Scilabus, Vous ne bougez pas par choix mais par instinct. les vidéos EchoScientifiques - saison 3, 10 juin 2021. Vidéo, 14min 52sec.
En ligne disponible sur :
https://www.youtube.com/watch?v=kr9s9uSQIEo.
Consulté le 29 novembre.
Ju Liett’
Ma Pou Pett’
Ma Jo Lie
Petite
Fauvette
Ju Liett’
Ju Liett’
Ju Liett’
Ma Pou Pett’
Ça c’est une berceuse que ma mamie avait inventée pour moi.
Je pense que l’on voit bien ce côté bilatéral.
Il y a aussi du par 3,
Jousse en parle aussi
isolatéral, triple-bilatéralisme...l
Je vois moins bien comment l’expliquer.
l. plic-plac-ploc/flic-flac-floc/tic-tac-toc/bim-bam-boum/badaboum...?
Trois p'tits chats Trois p'tits chats Trois p'tits chats chats chats
Lui, il dit plutôt :
32.
Université Bordeaux Montaigne,
Sur les pas de Marcel Jousse, (comme une valse) Mais du coup au niveau gestuel ça ferait ça : Ju Liett’ <--------------------------- ---------------------------> Ma Pou Pett’ A
Ma Jo Lie A
Petite <--------------------------- Fauvette ---------------------------> Moi, d’après mes souvenirs ce serait plutôt : Ju Liett’ <--------------------------- ---------------------------> Ma Pou Pett’ <------------ o --------------- ------------- ---------------> Ma Jo Lie <------------ o --------------- ------------- ---------------> Petite <--------------------------- Fauvette ---------------------------> À la syllabe ajoutée, une note plus aiguë (dans ce cas-ci),
Je ne sais pas si l’on peut parler de syncope, c’est une espèce de trébuchement. Ce qui est drôle c’est que, personnellement, quand je lis à voix haute j’ai cette tendance, très forte, au trébuchement et au balancement. J’ai dû garder, si la théorie de Jousse est juste, beaucoup de ces mouvements en moi car j’ai aussi une tendance à parler avec les mains, les épaules, des gestes dans tout le corps
[côté, devant, côté] ou [côté, derrière, côté]32
vidéo, 52 min 34 sec, 13 octobre 2014.
En ligne disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=_J063QlYcUU&t=2453s
Explication à partir de 23min pour le triple-bilatéralisme, à partir de 31min pour la gestuelle de la berceuse.
Consulté le 29 novembre 2021.
un nouveau point.
comme des macro-souvenirs de ces formes que j’aurai comprises.
m. L'an dernier avec Alice Desruelle, une camarade de l'école d'art de Nîmes, nous nous étions amusées à créer un site répertoriant ces gestes « béquilles » que l'on remarquait chez nous et chez les autres via nos cours en visioconférence.
Ces gestes sont nommés gestes
« co-verbaux » ou « emblèmes » d'après la conférence dansée
« Langues vivantes en vie » (2013, Université de Bordeaux).
Je ne suis pas certaine que ces gestes soient tous « co-verbaux » ou « emblèmes »... Par exemple les positions d'écoute ou d'attente n'ont peut-être pas de rapport avec le verbe, la parole, le désir de communiquer directement avec l'autre...
« Béquilles » me semble être un bon compromis pour ce que nous cherchions à désigner... « Béquille » soutient le verbe autant que notre tête dans nos états de fatigue.
Notre site : https://bequilles.hotglue.me/
Vidéo de la conférence:
Jean-Rémi Lapaire, Conférence dansée 'Langues vivantes en vie' LAPAIRE MAGNARD BLANC , conférence donnée en clôture du colloque RANACLES 2013 qui s'est tenu à l'Université de Bordeaux du jeudi 28 au samedi 30 novembre 2013.
Vidéo publiée le 8 décembre 2013.
En ligne disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=takomU73y3k.
Consulté le 4 décembre 2021.
Termes expliqués vers 16 min.
***
Trébucher
ne serait-ce pas le meilleur moyen de
comprendre les choses autours ?
S’é
cra
ser
de tout son long.
Surface
contre
Surface
Sur un sol qui nous porte tous,
tout,
tous les jours ?
MI pourrait s’y trouver
un bref instant
dans cette chute
ce fracas peau contre peau.
Physiquement
on n’aura jamais été aussi près du monde (de notre vivant du moins).
La chute,
un thème récurrent en art.
Mais moi je pense au travail de Julien Prévieux :
Une vidéo qu’il avait faite lorsqu’il était encore étudiant,
Roulades33 (1998).
33. Julien Prévieux, Roulades, vidéo SD,
5 min 40 sec, 1998.
En ligne disponible sur : https://vimeo.com/59814785. Consulté le 29 novembre 2021.
Il se filme tombant de son lit et roulant dans toute la ville, toute la journée, avant de revenir chez lui toujours en roulant.
Apparemment il singerait Roll34 (1970) de Dan Graham, poussant l’expérience dans une nouvelle dimension : celle du quotidien, de sa vie en ville.
34. Dan Graham, Roll, vidéo, 8mm transferré sur du 16 mm, 1 min 11 sec, 1970 (couleur, silencieux).
Cela donne, à mon sens, un côté burlesque à l’action par rapport à Roll.
C’est drôle, lorsque l’on parle de mimer, de penser directement à quelqu’un qui reprend une action sans même que je le sache.
Je lis cela sur le site d’Art Press35.
35. Arte Press, Paul Ardenne JULIEN PRÉVIEUX, GALERIE JOUSSE ENTREPRISE, PARIS, FRANCE, 27/01-10/03/07 https://www.artpress.com/2007/05/01/julien-previeux-galerie-jousse-entreprise-paris-france-2701-100307/
, premier mai 2007. Consulté le premier décembre 2021.Je n’avais jamais fait le rapprochement avec Dan Graham.
Je voulais aussi parler de Bas Jan Ader, de ses chutes depuis l’arbre37 ou sur le chemin à côté du tréteau38 dans les Broken Fall.
37. Bas Jan Ader, Broken Fall (organic) 16mm, noir et blanc, 1 min 44 sec, 1971.
38. Bas Jan Ader, Broken Fall (geometric) 16mm, noir et blanc, 1 min 49 sec, 1971.
39. Julien Prévieux, Pendu, série de photographies, 73 x 110cm, 1998.
Apparemment Julien Prévieux s’en est aussi inspiré pour une de ses pièces créée la même année : Pendu39.
Moi j’aime bien les pièces comme ça,
étudiantes,
qui ne sont pas encore trop « professionnelles », avec trop de moyens.
Il y a ce côté – amateur
de par la technique, les astuces utilisées,
le côté malin parce que peu de moyen
Amateur-amoureux- qui prend plaisir sans se prendre trop la tête (je ne dis pas qu’il n’y a pas de réflexion dans les travaux étudiants, pas du tout, mais on ressent moins de pression parce qu’il y a moins d’enjeux peut-être).
Amateur-Amoureux ici un peu Moqueur.
Amateur-Amoureux c’est aussi ce que j’aimais bien dans Décrochement de Camille Llobet (qui pour le coup n’est ni moqueur, ni burlesque).
***
L’un de mes premiers travaux, lorsque j’étais en première année à l’école supérieure d’arts d’Épinal, avait été une vidéo
amatrice-amoureuse.
Le sujet était « si loin, si proche » et j’avais décidé d’essayer d’intussusceptionner (maintenant je connais le mot)
le langage de mon copain.
Du moins celui qu’il utilisait tous les jours
étant étudiant en informatique.
Un langage, un système de code qui m’étais complétement inconnu ;
Qui m’étais même obscur.
Ma réaction face à cela avait été d’inventer des mouvements de mains spécifiques à chaque signe utilisé dans un de ses travaux.
J’espérais que le geste, son invention, sa réflexion, sa répétition, sa chorégraphie, allait me permettre de comprendre le langage C++ de mon amoureux.
(Que nenni)
Il m’avait aidé à tourner.
Tout d’une prise !
J’avais choisi de cadrer mon ventre, qui servirait
d’écran à mes signes.
Je ne savais pas monter.
Chaque saut de ligne était représenté par un noir
T-shirt noir baissé sur un arrière-plan noir.n.
n. Si vous souhaitez voir ma vidéo :
C:\corpstrad.cpp, 3min 35sec, 2018.
Disponible en ligne sur : https://www.youtube.com/watch?v=CAG1Jwp7ED4
A ce moment-là, je ne suis pas certaine que je mimais déjà, dans ma pratique, les choses autour de moi.
Pourtant cette question de la reprise, de la gestuelle, de sa rythmique (car j’avais décidé de suivre un rythme particulier, comme une mélodie de geste) était déjà intégrée dans mon travail et dans ma conviction que pour essayer de comprendre il faut essayer d’intégrer, d’incarner, pour digérer en soi.
Il y avait déjà l’idée que langage (ici langage écrit),
gestuelle et rythmique n’était pas si éloignés,
alors
je suis plutôt contente.
***
MI
c’était donc le TR
TRa
TRad
TRans
celui qui permet l’entre-deux
la mise en état
l’impression en soi (en tout cas comme on peut)
avant la projection
MI admoniteur, qui met le doigt sur,
qui tente d’approcher
qui apostrophe
’
Y a -t-il un signe écrit plus désignateur que celui-ci ?
Apostrophe,
trop extérieur pour MI selon moi, en fait.
MI permet la TRansformation intérieure ou en surface ;
pas trop éloignée de soi,
pas dans ce lointain qu’on désigne.
TRansformation
pour un temps
et,
si elle est bien comprise,
pour tout temps.
Car si l’info est intussusceptionnée,
elle est comprise en soi.
MI c’est cet échange invisible qui s’opère entre-corps
Soi et Dehors
Et pourtant MI se trouve bien souvent dans la concentration
centrée en soi, en son propre dedans.
C’est en tout cas comme cela que Camille Llobet m’a donné encore une nouvelle vision de MI.
Et bien souvent,
pour entrer en TRans,
on fermera les yeux,
on ouvrira la respiration,
la mâchoire se décrochera,
laissant une bouche baillée au moins entre-baillée
***
Bouches ouvertes/entre-ouverte.
Une ouverte avec béatitude dans la danse de Kazuo Ohno, « Dream »o. Une, mâchoire décrochée parfois, grande ouverte dans Hommage à la Argentina40, pièce dans laquelle Ohno donne corps au souvenir et au fantôme de cette femme, la Argentina, danseuse de flamenco, qu’il admire et qu’il dit aimer.
o. « Dream », c'est le titre de la vidéo YouTube où l'on voit Ohno performer. C'est une de mes captations préféreés (parmi celles que j'ai pu voir). Il vole presque dans le cercle entouré de spectateurs, il a le sourire sur ses lèvres béates, une joie s'échappe de lui et brume/soleil autour. Il a des gestes malingres et étonnement puissants. Sous la vidéo il n'y a pas d'indication particulière. « Rêve d'amour » écrit en chinois selon ma copine Wanqi. Ce n'est que le titre de la musique de Liszt sur laquelle Ohno pose ses mouvements. Dans Butô(s) [CNRS éditions] je cherche de quelle pièce cette danse pourrait être extraite... les Nymphéa ? Rien n'est moins sûr. Oui, il y a la musique de Liszt mais je n'ai pas assez de précision pour m'en assurer. Est-ce une performance isolée? Kazuo Ohno faisait beaucoup d'improvisations...
Pour l'instant « Dream » restera « Dream » pour moi.
Odette Aslan, Béatrice Picoin-Vallin, Butô(s). Paris, CNRS éditions. p.72-90.
Vidéo en ligne disponible sur :https://www.youtube.com/watch?v=T6Ix96_t_ZU
40. Kazuo Ohno, Hommage à la Argentina, Biennale de la danse de Lyon, 1986. Vidéo réalisée par Charles Picq, producteur : Maison de la danse, collection : Biennale de la danse. 2min 51sec.
Vidéo en ligne disponible sur : https://www.numeridanse.tv/videotheque-danse/hommage-la-argentina?s.
Consulté le 2O novembre 2021.
J’avais aussi remarqué la bouche ouverte du jeu de Paty Duke quand celle-ci incarne Helen Keller enfant dans le film Miracle en Alabama41 d’Arthur Penn.
41. Arthur Penn, Miracle en Alabama,
(États-Unis), 1962.
Helen Keller, petite fille aveugle et sourde n’ayant encore jamais eu accès à la parole et au sens du langage jusqu’à ses 6-7ans lorsqu’une nouvelle preceptrice, Ann Sullivan, va réussir à lui faire comprendre qu’il existe en fait des mots pour le monde autour.
42. STUDIO EIKEN. Glass no Kamen. Série animée, Japon, 1984.
Sortie en France : DECLIC IMAGE. Laura et la passion du théâtre. 1988.
23 épisodes d’une vingtaine de minutes.
Cette bouche c’était aussi celle qu’arborait Laura dans le manga Laura ou la passion du théâtre42 lorsque celle-ci cherchait à comprendre Helen afin de la jouer sur scène.
C’est dans ce manga que j’ai connu cette histoire.
Une histoire vraie d’une petite fille qui, si elle n’avait pas réussi à comprendre le monde et le langage qui y était rattachée, serait certainement restée exclue de tout et de tous toute sa vie (surtout à cette époque j'imagine mais, à vrai-dire, comment pourrais-je l'affirmer?).
J'avais écrit sur ma question et crée une vidéo sur le sujet.
L'année dernière, en mai.
Ma question était en gros : pourquoi ouvrir la bouche sinon pour attraper et absorber le monde ?
Créer une zone de passage.
Cette façon d’ouvrir la bouche pour mieux avaler toute information
ou peut-être est-ce parce que,
étant aveugle et sourde,
Helen Keller ne sait pas que ceux autour gardent la bouche fermée si ce n’est pour l’ouvrir.
L’ignore-t-elle vraiment ?
Elle touche souvent le visage des autres pour mieux apprivoiser
Les apprivoiser eux
ce qu’ils disent.
Alors oui, elle doit savoir que les bouches se ferment quand il n’y a rien à dire.
Quand il n’y a rien à dire
à boire
ou à manger.
La bouche entre-ouverte, elle se nourrit de tout indice
elle oublie la mâchoire
et la laisse tomber.
Bouche-bée
Bouche-baie
la bouche qui dit « baie » est toujours plus béante qu’ une bouche- « bée »
pourtant « béer » signifie ouvrir grand
la bouche
« bée »
ne correspond pas à cette promesse contrairement à
« baie ».
Une bouche « baie » est une o u v e r t u r e
une bouche « bée » est une fissure
bouche-bée
bouche-baie
bouche-
Quel genre de baie ?
Celle qui se mange?
La baie du littoral?
La baie vitrée ?
Un peu de tout cela.
La baie vitrée c’est du dehors qu’elle nous retire
La baie marine, un ailleurs qu’on observe de la berge
La baie, le fruit, c’est une saveur
elle implose en bouche mais
trop petite
pour me suffire
trop petite
trop petite
pour me nourrir.
Alors il faut continuer de l’ouvrir, la bouche
l’ouvrir pour respirer, l’ouvrir pour absorber
l’ouvrir sans paroles ne veut pas dire l’ouvrir pour rien.
Helen, elle laisse ouvertes toutes les portes,
toutes les brèches, toutes les fissures.
Dans cette bouche muette,
au bord de ces lèvres
il y a voie.
***
La bouche ouverte, on la connait dans les états de sommeil,
les problèmes respiratoires, l’apnée.
On la connaît en état de sidération, de questionnement, de recherche de réponse.
On la connaît sur le visage des petits enfants qui observent tout autour et des vieilles personnes qui cherchent leur air, à moitié endormie au fond de leur fauteuil.
J’ai des images de mon arrière-grand-mère, mamie Jeannine,
de ma mémé, la maman de mon papa,
celle d’une vieille femme, autrefois ballerine, qui se remémore l’enchaînement d’une des danses du Lac des Cygnes
dans une vidéo sur internet.
Une vidéo qui montre encore que le geste et le mouvement est un facteur de compréhension et ce malgré que la vieille femme, Marta C. Gonzalez, soit atteinte d’Alzheimer43.
43. Música para Despertar, Marta González « Prima Ballerina » escuchando El Lago de los Cisnes, 12 novembre 2020. Vidéo, 3 min 16 sec.
En ligne disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=WzABg24I8KY. Consulté le 2 décembre 2021.
Bouche baie : lieu de passage incontrôlée,
indice du soi,
geste d’air
parole coupée
abolie, quelques temps,
pour laisser plus de place.
***
Chorée44 c’est un travail sur cette bouche incontrôlée
et souvent tombante.
44. Camille Llobet, Chorée,
Installation vidéo, 3 vidéos FHD
( 3 écrans PVC sur châssis suspendus, haut-parleurs, gueuses
126 x 224 cm [x3] ), 14 min-20 min, 2014.
C’est en fait plutôt un travail de portrait.
Des portraits de danseuses dont la bouche représenterait la faille de leur chorégraphie et donc leur « vraies elles ».
En effet, Camille Llobet avait observé que cette bouche était la seule partie incontrôlée dans la danse. C’est pour cela qu’elle a appelé son travaille « Chorée » en référence à la maladie
de Saint Guy provoquant des mouvements
involontaires anormaux et incontrôlables.
Cette maladie est aussi appelée Chorée de Sydenham.45
45.Ibid, notice en ligne disponible sur : http://www.camillellobet.fr/index.php/travaux/choree/.
Consulté le 2 décembre 2021.
Elle avait donc demandé à trois danseuses de faire des exercices chorégraphiques face caméra pour qu’elle puisse capturer
ces mouvements au niveau de leurs bouches.
Raphaele, Margaux et Anya.
Anya,
selon son portrait,
semble être la plus intransigeante des trois.
Sa bouche reste fermée, voire pincée, commissures basses.
C’est aussi la bouche qui semble la plus âgée.
Margaux et Raphaele semblent plus vibrantes.
Rien que leur menton et leur mâchoire brûlent :
Ils tressautent.
La bouche s’entrouvre dès le départ chez Raphaele,
parfois sa mâchoire se crispe, découvrant ses dents du bas.
Sa langue vient humecter les lèvres.
Elle se perd en hauteur, regardant au plafond,
son souffle tressautant
laisse échapper des filets de voix brefs et aigues.
En fin de parcours la mâchoire se crispe et regarde tout autour.
Margaux aussi tressaute,
est partout à la fois.
Sa mâchoire plus tombante,
partie basse légèrement en arrière.
Commissures basses.
Quand le mouvement devient plus rapide,
les coins se relèvent, laissant toujours dépasser quelques indices de ses dents inférieures.
En fin de courses les commissures se rabaissent et le noir vient presque étouffer les deux incisives.
Elle baille à moitié, s’ouvrant encore plus
cherchant l’air,
lapant presque.
Légère reprise,
cherche la salive, rentrant ses lèvres un bref instant.
Elle semble être la plus tranquille
puis-je vraiment l’affirmer ?
Pour moi sa bouche est en fait la plus proche de celle du bébé.
Peut-être est-ce à cause de sa petite taille et de sa forme ronde, rondes les joues aussi : elles y sont pour beaucoup.
Alors maintenant oui,
je pense pouvoir percevoir leur « vraies elles »
à travers la faille de leur concentration.
Mais après avoir été trop maladroite je n’ose presque plus.
Pour moi MI pourrait être cette bouche
(ces bouches avec les miennes).
Une bouche ouverte muette,
lieu de transition parfait entre corps et parole.
Lieu de passage dedans-dehors.
Lieu de l’expression contrôlée ou non,
lieu de recherche, de curiosité et d’alimentation.
Bouche Baie à MI-parcours.
Voici donc l’adresse.
Alors je lui écris.
À MI,
Bouche Baie,
à MI-parcours, dedans-dehors.
Voie-x multiples sur filet d’air.
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VERGORI, Julette. À-MI. ESBAN:2021-2022. *************************************************************************